La bière sure : une introduction
Beau’s s’intéresse à la montée de la popularité des bières sures avec le maître-brasseur de la Halcyon Barrel House, Bryce McBain, ainsi que Michael Tonsmeire du blogue The Mad Fermentationist.
Rédaction : Patrick Jodoin | Illustrations : Marc Doucette | Traduction : Labo Dactylo
Si vous fréquentez le milieu de la bière artisanale, vous avez certainement entendu parler de la « bière sure ». Vous l’avez possiblement déjà adoptée, ou hésitez peut-être encore à y goûter.
Mais si bières sures, bières funky, fermentation mixte, brettanomyces, vieillissement en fût et autres termes brassicoles vous laissent perplexe, l’article qui suit devrait réussir à vous éclairer.
Bryce McBain
Alors, qu’est-ce qu’une bière sure?
Laissons nul autre que Michael Tonsmeire, auteur du blogue The Mad Fermentationist et du livre American Sour Beers, entièrement consacré au sujet, répondre à la question. « On utilise le terme “bière sure“ de manière générale pour désigner les bières au goût acidulé, aigre et vif, explique-t-il. Ces bières sont parfois d’une grande simplicité. Elles peuvent être vives et rafraîchissantes comme un verre de limonade en plein été, mais parfois plus complexe… une bière qu’un connaisseur voudra déguster, évaluer et apprécier à mesure qu’elle vieillit ou qu’elle se réchauffe. »
Comment le goût de la bière sure se développe-t-il? Quelle est la principale différence entre cette bière et les autres? Habituellement, différents arômes s’entremêlent dans les bières considérées comme « sures », mais disons simplement que le goût sur (ou acide) provient de l’acide lactique, qui est produit par les bactéries lactiques, lactobacilles ou pédiocoques, pendant la phase de fermentation du brassage.
Ces bactéries créent le goût acide. L’alcool provient de la fermentation des saccharomyces ou des brettanomyces (bretts) ou des deux (fermentation mixte). Le processus de création de l’alcool par fermentation est sensiblement le même pour le brassage des bières sures et celles qui ne le sont pas. Les bretts peuvent être utilisées seules pour fermenter la bière ou en association avec d’autres bactéries. Les pédiocoques ne produisent pas d’alcool, quoique certaines souches de lactobacilles le peuvent.
Bien que certaines levures sauvages comme les brettanomyces ont la capacité de produire de l’acide lactique, leur principale caractéristique est de donner à la bière son arôme fruité et son goût funky. Puisque les bretts (qui sont des levures et non des bactéries) sont présentes dans de nombreuses bières sures, on les considère souvent à tort comme des agents d’acidification qui produisent un goût suret. Mais ce n’est pas le cas.
Michael Tonsmeire par Cristiano Estrela pour Diário Catarinense
Et le côté funky dans tout ça?
Comme le dit Michael Tonsmeire, également cofondateur de la brasserie Sapwood Cellars, à Columbia, dans l’État du Maryland, « Funky n’est pas nécessairement le mot le plus séduisant qui soit. Je crois que la majorité des gens n’aurait pas tendance à l’associer à une description positive d’un plat ou d’un autre type de boisson. J’aime généralement considérer ce mot comme une saveur qui apporte un certain avantage lorsqu’on l’utilise avec modération, mais qui peut choquer lorsqu’on en abuse. »
Quand il parle du goût typique des bières funky, Michael aime bien établir des comparaisons avec le monde culinaire. Dans ce cas précis, il cite l’exemple de la sauce de poisson dans le pad thaï : la plupart des gens ne voudraient pas abuser de cette sauce, mais aiment bien en ajouter juste un peu pour rehausser leur plat. Michael est d’avis que ces bières sont dotées d’une ampleur et d’une complexité qui apportent une touche d’extravagance. Un bon exemple de ces termes couramment employés dans les descriptions est « couverture de cheval » (horse blanket). Parmi les autres notions qui méritent d’être explorées, il y a le vieillissement en fût. Les méthodes employées à la brasserie Halcyon Barrel House sont un excellent exemple. « J’utilise les fûts comme une maison à microbes, confie Bryce McBain, maître-brasseur chez Halcyon. Je ne cherche pas à obtenir un caractère boisé très prononcé – un peu de tannins pour donner du corps à la bière, ça me va, mais c’est avant tout un milieu de vie idéal pour les bactéries et les levures sauvages. Le bois est poreux. Les bactéries et les levures sauvages peuvent s’y développer pleinement. Et même quand vous nettoyez votre fût, elles continuent à se loger dans le bois; la prochaine cuvée de bière profite donc aussi de cette microflore. »
—
Même si les bières sures sont incontestablement sur une belle lancée, elles existent depuis tout aussi longtemps que la bière elle-même; il est donc erroné de croire qu’il s’agit d’une mode passagère. « Avant l’isolement des levures, toutes les bières contenaient plus d’un type de microbe », ajoute Bryce McBain, qui se spécialise dans la fermentation mixte en fût de bois pour créer des bières sures hautement funky. (Pour en savoir plus sur la levure de bière, consultez l’article suivant sur notre blogue : La levure de bière : l’employée qui travaille 24 heures par jour.)
La Gravity Well est l’interprétation d’Halcyon Barrel House d’une ale rouge des Flandres, un style de bière sure traditionnellement brassé en Belgique.
Comment la bière sure est-elle arrivée là où elle en est aujourd’hui?
« Je crois que nos bières sures ne seraient pas ce qu’elles sont sans l’influence de la Belgique, affirme Michael Tonsmeire. Certains brasseurs belges ont certainement contribué à maintenir les bières sures – les meilleures et les plus intéressantes – bien vivantes. Si la Seconde Guerre mondiale avait forcé toutes les brasseries à fermer boutique et qu’aucune d’elles n’avait réussi à se relever, j’imagine que la bière sure ne serait pas celle qu’on connaît actuellement en Amérique du Nord – elle serait certainement quelques décennies en arrière. »
« Ce n’est pas un type de bière facile à brasser », ajoute-t-il.
Michael parle de la brasserie Cantillon et des lambics comme des gardiens des microbes nécessaires à la fabrication de la bière sure. Il explique que l’expérience acquise en Belgique par les brasseurs américains en tant que travailleurs ou stagiaires, les collaborations avec les brasseurs belges ainsi que les articles des rédacteurs spécialisés en bières belges sont les éléments qui ont contribué à la popularité de la bière sure en Amérique du Nord. Peter Bouckaert, ancien maître-brasseur chez New Belgium, a également joué un rôle clé dans l’expansion des styles de bières belges – et des bières sures – aux États-Unis. En fait, Peter Bouckaert et New Belgium investissaient déjà dans la fabrication de foudres de chêne alors que la bière sure n’était ni le sujet de l’heure ni un produit qui enthousiasmait les amateurs.
« Je pense que tout le monde a son histoire à raconter à propos de la bière sure, souvent basée sur ce qui était à leur portée, ou ce qu’ils ont essayé, confie Michael Tonsmeire. J’ai commencé à boire de la bière il y a 13 ou 14 ans, sans intention particulière. Il n’y avait alors probablement pas plus de 15 ou 20 brasseries qui proposaient des bières sures en Amérique. Aujourd’hui, c’est plutôt rare de voir un brasseur qui n’a jamais produit ce type de bière à un moment ou à un autre, et ils sont de plus en plus nombreux à le faire avec sérieux. »
Bryce McBain raconte une histoire similaire : c’est lorsqu’il a découvert la Rodenbach Grand Cru, à 19 ans, qu’a débuté son histoire d’amour avec les bières belges, qui l’a plus tard amené à devenir brasseur.
Selon Michael Tonsmeire et Bryce McBain, la bière sure est présentement à la mode aux États-Unis et au Canada en raison de la popularité des bières artisanales en général. La bière sure, tout particulièrement, est souvent l’œuvre de passionnés, puisque son brassage nécessite une grande patience.
« La bière sure est une vocation qui rapporte, affirme Michael. Avec de la chance, c’est ainsi que les brasseurs survivent. » Il est très complexe de brasser de la bière sure et de la bière contenant des saccharomyces en même temps, puisque le risque de contamination des systèmes de brassage par l’introduction des bactéries lactiques et des brettanomyces est élevé.
—
Que doivent retenir les amateurs de bières artisanales qui souhaitent aller à la découverte des bières sures? Il faut simplement laisser votre palais s’adapter à l’acidité – partez à l’aventure et goûtez-en autant que vous le pouvez.
« La chose la plus importante à savoir, c’est que l’éventail de bières sures et infiniment varié – continuez à les essayer, conclut Michael. Comme toutes les bières plus classiques, vous en trouverez des foncées et des plus légères, et d’autres avec des arômes grillés ou d’agrumes. C’est une tout autre catégorie et si vous n’en essayez qu’une ou deux, vous pourriez ne pas trouver la bière sure qui arrivera à satisfaire votre palais et vos goûts. »